MY THO... MAGIQUE

Quelle heure est-il ? 20h. 21h ? Il y a bien longtemps que j’ai renoncé à porter une montre. Le temps qui passe est devenu plus une curiosité qu’une contrainte. C’est juste que le café glacé que je déguste assis près d’un des bras du Mekong bordant My Tho m’interpelle. Habituellement, je ne bois pas de café, ou occasionnellement le matin pour me mettre dans le sens de la marche après une nuit trop courte. Mais le café glacé fait partie intégrante du Vietnam - comme du Cambodge d’ailleurs.Pour l’occasion, c’est la journée qui a été longue, dense avec un soupçon d’imprévu. Bref une journée comme je les aime avec un réveil tardif (relatif), un déjeuner pris dans un resto végétarien de Can Tho, sac en bandoulière, au hasard de mes pas qui me dirigent vers la gare routière pour attraper le bus de Vinh Long, terme envisagé de ma prochaine étape dans le delta du Mekong. A l’issue de ce remarquable déjeuner où hormis le choux-fleur et la carotte, je suis incapable de dresser la liste des multiples ingrédients, je me mets en chasse d’un moto-taxi car je souhaite profiter du bus de midi. Cinq minutes plus tard, je chevauche un scooter qui me dépose à la gare routière, me laissant à peine le temps de fredonner '' Paris-New York, New York-Paris ''.
Allégé de 30 000 dongs (2.3 euros), je me retrouve assis au fond d’un fourgon Ford Transit. Il ne reste + qu’à attendre que le véhicule soit plein pour espérer partir. A 12h15 - à la montre de mon voisin -, lesté de 13 passagers, notre fusée gris métallisé décolle pour atterrir bien vite et faire la queue avec ses semblables, + des voitures, des bus, des semi-remorques, et une nuée de scooters et de vélo attendant leur tour d’embarquer sur le ferry relliant les deux rives du Mekong large de près de 500m à cet endroit. A 12h45 - merci mon voisin -, nous touchons l’autre rive. Le voyage peut commencer..45mn et 45km + tard, nous arrivons à Vinh Long mais ce que je vois ne me plait pas. Je fais alors comprendre au préposé au ticket du minibus à l’aide de mon meilleur vietnamien, càd celui parlé avec les yeux et les mains, que je reste dans le bus jusqu’à My Tho, la ville suivante, ce qu’il met un certain temps à comprendre avant de se prendre la tête entre les mains, puis de partir de éclat de rire communicatif. Ca y est. Je suis adopté par tous les passagers...
Deux heures, une crevaison, et une pause-déjeuner + tard, je vois enfin apparaitre My Tho écrit sur les enseignes des magasins.
Arrive un rond-point précédé d’un panneau indicateur indiquant My Tho à droite, Saigon à gauche. Le préposé dort plié en trois contre la porte-fenêtre. Je m’informe auprès de mon voisin qui opine du chef, genre : « Pas de problème. C’est bien par là. », sauf que le minibus tourne à gauche sans ralentir et enquille pleine balle ce qui est maintenant une route à double-voie séparée par un parapet central. Nouvelle interrogation auprès du voisin en me retournant et en lui pointant My Tho qui s’éloigne derrière nous. Il opine toujours, sauf que nous ne parlons pas du même bled. Lui va à My Choan - ou qque chose dans le genre -, moi à My Tho, ce qui avec mon léger accent du Sud-Ouest sonne à peu près comme Nantes et Mantes.
Confusion et branle-bas de combat. Les autres passagers comprennent la bévue, le préposé est réveillé en catastrophe et réalise que faire les 5km en contre-sens est non seulement dangereux mais totalement interdit. Instructions données au chauffeur qui s’arrète en urgence au milieu de nulle-part ; je suis dehors. Le préposé ouvre le haillon, me tend mon sac l’air confus, fouille dans sa poche et me tend un billet de 10 000 dongs, soit la moitié de ma rallonge après Vinh Long (un geste exceptionnel au Vietnam) avant de m’indiquer la direction - évidente – pour rallier My Tho à pied ou en moto-taxi, tout en beuglant Nam Ngang (5000) dongs avec les 5 doigts de sa main écartés - ce que je suppose être le coût du moto-taxi.Au Vietnam, il faut être fataliste - et patient. Tout finit toujours par s’arranger. C’est ce que je me dis alors que laporte claque et que le bus repart en me laissant seul sur le mauvais côté de cette 2x2 voies qu’il faut maintenant traverser.
La première partie est aisée mais je passe de longues minutes assis sur mon mince parapet frolé de part et d’autres par un traffic dense et aléatoire car tous les vietnamiens sont bons à ranger dans la catégorie fous du volant.
Enfin. Voila une ouverture. Ca y est. Je suis passé. Je peux entamer ma randonnée routière, sac en bandoulière comme ce matin - Prémonitoire ? – sous les yeux surpris des vietnamiens me dépassant, qui en vélo, qui en scooter.Arrive un papy vendeur de billet de tombola qui roule au pas sur un vélo hors d’age. Je lui fais comprendre que je vais à My Tho et que j’en ai marre de marcher en mimant une poignée d’accélérateur. Bingo. Il comprend, '' accélère '', et harangue un moto-taxi en marraude posté 100m + loin au bord d’un chemin.
Génial. La négo n’a pas lieu d’être car les 20 000 dongs demandés pour couvrir les 7-8km restants sont tout à fait corrects. Et sincèrement, je ne m'en sens pas l’envie. J’enfile le casque que le pilote me tend en gratifiant le papy de mon meilleur sourire et d’un au-revoir chaleureux qu’il me retourne avec un sourire édenté.
15 minutes + tard, mon sauveur motorisé me fait faire le tour du propriétaire et je choisis l’hotel Cong Doan, non sans avoir emmené mon pilote jusqu’à la réception pour qu’au pire nous repartions en quète d’un meilleur hotel, et qu’au mieux il touche sa comission si celui-çi convient, ce qui est le cas.
Et voilà. J’ai rapidement négocié la chambre 210 à 120 000 dongs la nuitée au lieu des 150 000 demandés car je ne compte pas utiliser la clim’. J’ai exploré My Tho jusqu’à maintenant en commençant, bien sûr, par le marché, et My Tho me plait. Attention My Tho, tu as voulu m’embrouiller mais je suis bien là et je compte rester.
Au fait mon voisin vient de m’indiquer l’heure en vietnamien : '' Wzykwwjlzk... '' ; 9h45.
Le lendemain, après avoir fait le tour du quartier pour trouver un vélo à louer, j’ai déniché mon bonheur, pris en main par un Viet qui s’étonnait de me voir dans le coin. Après une première négo avortée, il m’emmène ensuite dans une agence de voyage située derrière mon hotel où je récupère un VTT pour 2$ la journée, non sans avoir été invité par le patron à boire un café glacé et à déguster le bout d’gras sur comment améliorer ses prestations. Le courant passe tellement bien que le lendemain, il viendra me récupérer à l’hotel pour m’emmener jusqu’à la gare routière.
Qui a dit que les vietnamiens n’étaient pas sympa ?Et me voilà parti dans les rues de My Tho en direction du Ferry pour traverser le Mekong avant de me lancer sur la route menant à Ben Tre, la ville voisine distante d'une dizaine de km.
Après une soupe prise sur le pouce dans une échoppe, je me remets en selle, juste le temps de faire 1 ou 2 bornes quand je piste un scooter s’engageant sur un chemin qui s’enfonce dans la forêt. Et c’est parti pour le vélo-cross au milieu d’un paysage vert et touffu composé nottamment de cocottiers, de bananiers, quadrillé de minuscules canaux.Ce chemin qui m’emmène au beau milieu de la vraie vie du delta est une véritable aubaine. Au bout d'1km environ, alors que je m’apprète à franchir un petit pont, j’observe deux gamins munis de ce que je prend pour une foene. Ils pêchent de minuscules noix qu’ils détachent d’un cocottier d’eau. Le temps de m’arréter et de les interroger du regard que l’un d’entre eux part en courant, revient tel l’éclair, saute dans l’eau et coupe un agglomérat de noix d’au moins 5 kg qu’il tend à son aîné. C’est l’heure de la dégustation d’un fruit que l’on ne trouve sur aucun marché. Surgit de la forêt, 3 autres jeunes viennent participer au goûter.Tous m’invitent ensuite à les suivre en mimant une baignade. Et nous voilà partis, débouchant rapidement dans la masure où ils habitent. Je pose mon vélo, le père m’accueille avec le + beau sourire de tout mon séjour au Vietnam et m’invite à entrer. Pensant me retrouver à l’intérieur de la masure, je me retrouve en fait devant une barque antédiluvienne que les gamins ont déjà entrepris de détacher tout en me faisant signe d’embarquer. Je ne sais pas où nous allons. Let’s go.Le canal n’est qu’un ombilic dépassant rarement 2m de large. Le passage est rendu difficile par des branches basses qu’il faut soit courber avec les mains, soit casser à coups de pieds. L’ambiance est fantastique. Je suis sous la protection de 5 enfants vietnamiens.Parfois, l’un d’entre eux saute de la barque pour aller cueillir des pommes-cannelles sauvages ou ramasser une noix de coco tombée là où elle n’aurait pas du. Mais l’heure tourne et je leur fais comprendre que je dois rentrer retrouver mon vélo. Pas de problème - ‘‘ Con Co Chi ’’. Les sourires sont de rigueur. Le temps de faire qques photos de la fratrie executant ses plus beaux plongeons qu’il me faut repartir... A regret... Avec force poignées de main et sourires sincères de toute part.
Me revoila sur la piste, puis sur la route de Ben Tre que je rallie 20 minutes + tard. Comme My Tho, Ben Tre est sise au bord d’un des nombreux affluents du Mekong. Pause au marché, Ban Tao (boudin de riz parfumé farçi de banane et cuit à l’étouffée) dégusté assis à côté de la vendeuse, lait de soja, petit tour en ville, il faut déjà repartir car le soleil est bas. En me dépéchant, je dois pouvoir attraper le ferry avec le coucher du soleil sur le Mekong en prime. C’est gagné.Le soleil est maintenant couché depuis bien longtemps. Tel un rituel, je savoure un café glacé près du fleuve. Je suis ravi ; enchanté par cette journée inoubliable. Le delta du Mekong m’a comblé. Demain est un autre jour. Demain direction Saigon.