DELTA DU MEKONG 2

Chacun commence à avoir faim. Mon en-cas du matin, en l’occurrence un boudin de riz gluant farci de banane cuit à l’étouffée enroulé dans une feuille de bananier - le Ban Tao -, est digéré depuis belle lurette.Ca tombe bien. Nous nous amarrons à présent devant un resto surgit de nulle part ou de petites paillotes individuelles et des hamacs nous attendent. Le déjeuner est succint mais excellent. Surtout les papayes du jardin sucrées et goûteuses.
Soudain, je vois le patron du lieu soulever un couvercle coiffant une grande jarre en terre et en sortir un serpent qu’il part montrer à des touristes arrivés comme nous en barque. Je me lève afin d’inspecter le contenu de la jarre ou un seul reptile occupe le fond. Je le saisi derrière la tête et le sort au grand-jour pour mieux l’examiner sous le regard horrifié des vietnamiens présents. « Non, non » font-ils avec le doigt. « Pas celui-là. Il est venimeux », du moins c’est ce que je comprend. Trop tard. Je serre un peu plus fermement sa tête pour mieux le détailler, en pressant un peu plus fort pour lui faire ouvrir la bouche et voir ses crochets... sans succès, mais les grosses écailles lui couvrant la tête, son corps trapu et sa queue se terminant brutalement sont des signes qui ne trompent pas. La bestiole est dangeureuse. Le patron revient alors avec son gentil serpent et m’invite à remettre le mien dans le pot avec d’infinie précautions.
Ai-je brulé ma première vie de l’année 2008 ? Je n’y pense plus alors que je joue avec son paisible cousin... La pause est terminée. Il est temps de retrouver notre barque et de retourner vers Can Tho que nous rallions vers 14h après les huit heures de cette parenthèse extraordinaire.
De retour à l’hotel, j’ai un petit coup de mou allongé sur mon lit en regardant les photos du périple mais je résiste à l’appel de la sieste car mon compère allemand et moi avons décidé d’effacer cette fatigue explicable en nous offrant un massage revigorant dans un spot que j’ai pisté la veille. Le lieu propose bain de vapeur et massage, l’heure étant tariffée 70 000 dongs, soit moins de 3 euros.Ce que je ne savais pas, c’est que l’heure comprenait l’un et l’autre. Après 30 minutes passées dans la vapeur, puis sous la douche, le massage se limitera au 30 minutes restantes, soit largement assez pour me remettre d’aplomb.
Ce que je ne savais pas non plus, c’est que ma masseuse tenterait l’approche sous mon caleçon, ce que je refusais avec un sourire en montrant mon annulaire pourtant vierge en lui faisant comprendre que ma femme m’attendait à l’hotel voisin... Après une deuxième tentative avortée, elle s’excusera pour terminer son massage d’une façon tout à fait légitime.
Pour info, le coût en extra du massage des parties intimes est de 200 000 dongs.
En retrouvant mon Allemand qui m’attendait dans le hall d’entrée en sirotant un thé, j’appris que lui aussi avait refusé une proposition similaire. Il se félicitait que lui et moi soyons resté « de marbre », arguant que peu d’hommes auraient refusés si titillés par des doigts aussi experts.
Par contre, nous nous sentons à présent en pleine forme suite aux effets conjugués de la vapeur parfumées à la citronnelle et de nos muscles et tendons ramollis.
Nous concluerons cette journée déjà copieuse par un repas à étapes, d'abord assis à côté de l’étal d’une vendeuse de Ban Tao, puis proche d’une vendeuse de fruits à déguster du tamarin - un fruit que je me surprend à adorer -, puis successivement postés près des deux vendeuses de patisseries à nous délecter de flan, de choux à la crème et de pudding à la banane.Il est 21h. Après un dernier café glacé (café daa) savouré à la terrasse d’un café situé en face de notre ultime patissière ambulante, il est temps de clore le chapitre du 3 Janvier 2008. La journée fût longue et le massage a fait long-feu.
Direction l’hotel 31 et ma chanbre à 4 euros la nuit. Le matelas est bon et le lieu plutôt calme. C’est tout ce dont j’ai besoin à présent pour ancrer profondément tous ces souvenirs. Ce sera d’atant plus simple que la réalité dépassait mon imaginaire. Mais j’en veux plus encore...

DELTA DU MEKONG 1

Il est 5 heures, Can Tho s’éveille… Et moi aussi.
Depuis 3 jours, je suis abonné aux levers ou couchers aux aurores. Là c’est pour la bonne cause, partir en barque sur les innombrables canaux irrigués par le delta du Mekong à la découverte de ce monde à part rythmé par des marchés flottants.
A 5h30 pétantes, alors que le soleil n’est pas encore levé et que mes paupières sont encore lourdes du sable du réveillon du jour de l’an, je file au fil du Mekong en compagnie d’un routard allemand de âgé de 53 printemps, travailleur social dans le civil, et qui suit le même itinéraire que moi depuis l’île de Phu Quoc. Notre pilote est un jeune Viet sympa qui bredouille suffisamment de mots d’Anglais pour se comprendre et rigoler ensemble.Toum, Toum, Toum, Toum, Toum. Le moteur de la barque berce notre lente progression depuis 30 minutes, 1 heure, je ne sais plus. Le jour est levé depuis peu mais sur le fleuve Mekong, le traffic est déjà intense ;barque à rames et à moteur chargées de vivres ou de passagers, barges remplies de sables ou de matériaux de construction, challands, pêcheurs, ferries. La ville est flottante, mouvante. L’artère principale et ses multiples ruelles sont liquides et déjà débordantes d’acivité.Soudain, la rive gauche du fleuve s’assombrit. Un agglomérat d’embarcations a pris possession de sa parcelle aquatique. C’est le premier marché flottant prévu au programme de notre navigation. Fruits, légumes, volailles, vêtements, soupes, boissons chaudes ou froides, vêtements. Toutes les denrées issues du garde-manger du Vietnam sont à disposition, en gros ou au détail. Telle barque présente l’assortiment de tout bon potager, telle autre offre uniquement bananes, citrons vert, pastèques - les meilleures que j’ai jamais mangé -, ananas par montagnes, ou encore ce petit challand s’enfoncant à la limite de sa flottaison lesté du poids de plusieurs tonnes de noix de coco.Etonnamment, aucune embarcation n’est ancrée ou amarrée l’une à l’autre. Toutes sont en mouvement perpétuel pour présenter leurs marchandises aux maximum d’acheteurs potentiels. Un vendeur de café qui flottait par là trouve en moi un client avide.La lumière est faible et blafarde mais l’optique Leica de l’appareil photo fait des merveilles. Se méler à la cohue propose un spectacle étonnant et j’ai l’impression de faire partie des vendeurs qui sont d’ailleurs surtout des vendeuses.J’envoie des sourires qui me reviennent en retour. La glace est rompue et l’appareil photo est ravi. Il est temps de continuer notre nav’.
Toum, Toum, Toum, Toum, Toum.
Le pilote embouque un canal à tribord et soudain, le calme succède au bruit des moteurs et des tractations. Le vert émeraude des berges a remplacé le gris perle du ciel. Parfois une maison, souvent des plantations d’orangers et de bananiers occupent les terres au delà des rives. Les grenouilles sautent à l’eau à notre approche. Les martin-pêcheurs sortent de l’eau tels des poissons-volants. Lorsque des enfants nous voient, des « Hello » fusent de leurs bouches hésitantes surmontées d’yeux rieurs. Le temps n’a plus cours. De temps en temps, nous croisons un pêcheurs relevant ses filets, une femme faisant sa lessive, un homme briquant la vaisselle du petit-déjeuner, et toujours des barques, chargées ou non, se rendant ou revenant du marché flottant le plus proche.A l’approche d’un ponton sommaire, le pilote coupe le moteur et notre barque file sur son aire pour aponter. Où allons-nous ? Nous suivons celui qui est maintenant notre guide vers une fabrique artisanale de nouilles de riz. La céréale est broyée puis mélangée à de l’eau jusqu’a obtenir une substance liquide semblable à de la pâte à crèpe. Ensuite le procédé est globalement le même que pour la suzette, le Grand-Marnier en moins...
Les crèpes obtenues sont ensuite mises à secher sur des tamis en rotin comprenant 4 unités qui sont ensuite déplacés sur des séchoirs en plein-air près de la bananeraie. Les galettes seront ensuite découpées en lambeaux ou en filaments en fonction du type de nouilles recherché.Il est temps de partir. Toum, Toum, Toum, Toum, Toum.
Notre canal vert s’élargit maintenant et passé de 5 à 10 mètres. Nouveau chenal, puis babord toute pour retrouver un bras du fleuve qui nous conduit vers un marché encore + dense, + fréquenté. Cette fois j’ai demandé à notre gentil pilote d’aller le + lentement possible et de s’immiscer au coeur, ce qu’il fait non sans avoir coupé le moteur puis ramené son long arbre d’hélice le long du franc-bord.En deux temps, trois mouvements, j’ai sauté sur barge pour m’assoir sur un roof en retenant notre barque avec les orteils.
L’appareil photo continue son festin de visages et mon compagnon allemand distribue des ballons de baudruche aux enfants accompagnent souvent leurs mères. Les rôles sont inversés et nous devenons l’attraction sans que jamais, malgré le fait que nous occupons un espace « commercial » ou bouchons le flux des barques, la moindre animosité ou le plus petit signe d’énervement n’apparaisse. Au moment de repartir, nous avons même droit à un salut amical...Cap vers de petits canaux adjacents et de nouveau du vert, des vergers, du calme.
La largeur navigable se réduit, la profondeur de l’eau aussi, jusqu’à stopper notre progression car l’hélice brasse alors de l’eau et de la boue et se bloque fréquemment, emmaillotée, emprisonnée par des sacs en plastique. Malheureusement, le Mekong et ses affluents sont aussi une gigantesque décharge à ciel ouvert et les détritus de toutes sortes y foisonnent.
Dix fois ; quinze fois, le moteur s’arrètera, obligeant le pilote `a libérer l’hélice de sa gangue de plastique.
Il faut maintenant se rendre à l’évidence, le moteur ne sert plus à rien. Posté à l’étrave, mi pagayeur mi gondolier, jeune notre jeune ami qui est passé à « l’eau » et pousse à l’arrière, ce pendant 1 ou 2 km, avant de retrouver suffisamment d’eau pour laisser l’hélice nous véhiculer à nouveau... (a suivre)